dimanche 25 septembre 2016

Je suis cap'...

Je suis cap' de rouler et puis de sortir de la grand-route pour prendre les petites routes, et puis tout à coup de mettre les warning, et de m'arrêter net, il n'y avait pas un chat derrière, ça ne risquait rien. Cap de m'arrêter donc, d'un coup brutal parce qu'il y en avait un devant, fraîchement renversé, pas en purée en tout cas et peut-être un brin vivant. Je suis cap de constater qu'il est sans vie, mais pas trop amoché, je suis cap de prendre un tee-shirt dans le coffre, dans la réserve, le au cas-où, là il y a les tongs et les bottes de pluie. Je suis cap de condamner un tee-shirt pour en faire un linceul. Je suis cap de faire ça, sans trop réfléchir en pensant aux gens, et peut-être aux enfants à qui il appartient, ce chat. En pensant aussi que c'est mieux qu'il ne devienne pas une purée de chat. Je suis cap de ramasser un chat percuté et sans vie, sur la route, pour le poser sur le bas côté en me disant qu'ainsi si ses propriétaires le retrouvent, il serait certes sans vie mais sans bouillie aussi. Et je suis cap aussi de voir que cela n'a pas servi à grand chose, une semaine, deux semaines plus tard, le tee-shirt est toujours là avec son nouveau poids. "Tu crois que sa famille le retrouvera jamais jamais ? Tu crois qu'ils sont tristes, inquiets, qu'ils l'ont remplacé ? Tu crois qu'il aime mon tee-shirt ? Comment tu as su qu'il était mort, peut-être que non." Mon Petit Pois et ses milliards de questions, cette manière si particulière de voir le monde et de l'exprimer. Des questions qui se disent comme ça, d'autres qui ne sont qu'à lui et qu'on le garde, des questions comme celles-là et toutes celles que j'ai oubliées. 
Et pas à cause du chat écrasé mais à cause de ce regard posé sur le monde, j'ai pensé à Léo cœur d'indien d'Anne-Gaëlle Balpe. Lui aussi Léo, il a sa façon bien à lui de regarder le monde, il s'accroche à tous les détails qui sont posés autour de lui pour ne pas vaciller dans le fourmillement des grands. Des adultes, dans la foule, du métro. Il s'accroche aux mots parce qu'il est poète. Et les mots le font voyager, l'emmènent, du coq à l'âne, du rire aux rimes, d'images en imaginaire. Il aime le mot strapontin par exemple, celui sur lequel il est assis, il aime faire des listes de mots - "mousqueton, hanneton, chaton, marathon" et des mots qui commencent par fri- aussi-. Il n'aime pas trop par contre qu'on utilise des expressions un peu bizarres parce qu'il les met tout de suite en images dans sa tête et ça peut faire tout drôle. C'est comme ça que ça commence, Léo cœur d'indien.Léo il parle pour lui, de lui, des autres aussi, de son environnement proche, de la voisine de transport, une fille avec une moustache, de son frère Vincent, de Watson son beau-père, et de sa maman qui est là, dans la rame, pas trop loin mais suffisamment en tout cas pour faire mine de jouer à ne pas se connaître. Il adore ça. ça fait un peu la trouille mais ça fait vraiment être grand. Mais dans les longs couloirs du métro, entre la foule, les odeurs qui l'insupportent, le pipi de souris, les papillons, le nez dans le foulard de sa maman, il la perd. Il se perd tout court, rendez-vous raté avec le Dr Vanhassen, il se retrouve en face d'une "vieille dame assise sur un tabouret, un chapeau posé par terre et un harmonica sur les genoux". Voilà. Un coup de "t'es tout seul gamin" qu'il attrape pour échapper au tapis de poissons panés et c'est parti. Léo est dans les pattes de Calamiti-Djène qui a pour voiture un tas de ferrailles, pour maison une cabane et pour chien, un chien. Mais pas avec n'importe quel nom, par contre : Dos-to-ïev-ski. ça peut en dire long sur ce drôle de personnage et ça lance le premier quiproquo entre eux. Pourquoi faudrait-il aller chercher un écrivain mort quelque part avant de rentrer à la maison ? Et de fil en aiguille, on est emporté, par les images, par cette interprétation du réel, par les jeux de mots, les facéties, la drôle d'aventure. L'écriture d'Anne-Gaëlle est fluide, rythmée, imagée, elle n'a pas besoin de nous prendre par la main, elle nous tient, nous guide, par un tout petit fil doux et fragile, le fil rouge, celui du manteau de la maman que Léo va forcément retrouver, mais quand même parfois on se demande si ça va vraiment être le cas, et on a hâte.  *** coup de cœur ***

*** Les références ***

* Léo cœur d'indien d'Anne-Gaëlle Balpe Edition L'Ecole de Loisirs - avril 2016 - 9,95 € à partir de 9 ans.

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