samedi 2 novembre 2013

Parler de la mort, etc.

Vous attendez peut-être de moi que je fasse une chronique sur ce sujet, puisque on est le premier, le deux, le trois novembre, qu'il y a la Toussaint et la "fête" des morts, des "défunts", comme c'est indiqué dans mon agenda. J'ai vérifié. Sur le gros, le vert qui va bientôt atteindre les 16 mois. Je ne fête pas les fêtes. J'ai déjà parfois un peu de mal à me souvenir des anniversaires quand ils sortent du cercle très concentrique de la famille, alors ce n'est pas pour fêter les fêtes. Pas celles de vivants donc. Pas celles de morts non plus. Vous attendez peut-être de moi que je fasse une chronique sur ce sujet parce que vous vous dites que j'ai un regard particulier sur la question, et que les autres années, j'ai botté en touche. Comme j'exagère. Vous attendez peut-être de moi que je fasse une chronique sur ce sujet parce que c'est un sujet que j'aborde déjà de temps en temps sur le blog, parce que je vous parle de la mort ou plutôt du deuil quand ça me prend moi, quand ça me saisit, que je vous prends peut-être en otage du déferlement de mes pensées, quand je le deviens parfois moi-même. Drôle de fait, j'avais commencé cette chronique, je l'ai perdue. J'y avais écrit que je ne crois pas en dieu, que je ne crois pas en un après, que je me suis hérissée quand mon fils est rentré de l'école un jour en me disant, tu sais, les morts sont au ciel. Non. Je ne peux pas le laisser dire ça, le laisser croire ça. Mais je ne vais pas m'éterniser sur ce sujet ni sur ce que chacun en fait, ni sur ces croyances qui ne sont pas les miennes et qui n'étaient pas celles de son père. Et vous me direz alors comment je fais ? Comment je réponds aux questions que me posent mes enfants ? Qu'ils m'ont posé plus régulièrement et qui reviennent de temps en temps comme hier soir, comme avant hier soir et qui trouvent ancrage dans d'autres situations que la Toussaint. Comment je laisse s'exprimer l'injustice, la colère, comment je fais comprendre la différence, l'irréversibilité de la situation, comment je leur fais comprendre que, peu importe quel chemin prend notre vie, ils ont perdu leur père à jamais et que jamais, c'est jamais. Ils ont un papa mais ils ne l'ont plus. C'est très compliqué. Mais
ce n'est pas tabou. Ils en parlent, moi aussi. Ils en pleurent, moi aussi. Quand j'étais petite, un peu moins qu'eux, mon père était un peu plus vieux que le leur, pas beaucoup plus, mon père est mort, comme celui de Léo dans La perte d'un proche de Michaël Larrar aux éditions Prisma :
" - Mon papa est mort
- Pourquoi ? 
- A cause d'un truc dans son cerveau"
Ce n'était pas le même truc que leur père, c'était aussi terrible, c'était plus soudain, c'était le cerveau, c'était aussi injuste, on ne m'a jamais expliqué ce qu'il s'était passé. Je n'ai rien compris. Si. J'ai compris l'injustice, j'ai vécu la colère, j'étais agressive, j'ai détesté, haï les prières, les discours invraisemblables, les appels à dieu, le regard des autres sur moi. J'ai rien compris. Si. J'ai compris que ces histoires de dieu à qui il fallait s'en remettre tuait toute forme de discussion, de réflexion, de pensée, annihilait l'expression des émotions et je ne voulais pas donner la main ni entrer dans la litanie pour faire face à la vie. J'avais 12 ans. Mais ma chronique s'est perdue. Non enregistrée, effacée. Pas ces sentiments. Sauf que je suis un peu moins en colère. Un tout petit peu moins. Et que je fais face à la vie, sans un dieu. Et que je leur dis que c'est possible. Ce n'est pas facile d'être confronté à la mort en étant si jeune, mais c'est possible. C'est possible de la surmonter, de faire le chemin, de se trouver, de rétablir l'équilibre, de mettre le nez hors de l'eau, de ne pas sombrer, de croquer, d'aimer le chocolat et Clara, de détester les haricots verts, de fondre de rire, de sourire, de s'amuser, d'apprendre, de comprendre, d'imaginer, de se souvenir, de se rappeler, de se projeter. Je ne crois pas en dieu. Je ne veux pas éduquer mes enfants dans cette croyance. Je suis prétentieuse, je crois en mes capacités et en mon énergie, en celles des personnes qui m'entourent et qui les entourent pour leur permettre de vivre bien leur vie, sans elles. Les semaines, les mois ont passé, bientôt deux années et demi que leur papa est mort - au premier jet,  j'avais écrit parti, mais ces mots à double-sens sont tranchants et je ne sais que trop bien, qu'il faut utiliser les mots adaptés aux situations, aussi lourds et douloureux soient-ils, ils sont clairs, au moins - pas un jour sans que je ne pense à lui. Quoiqu'il arrive aujourd'hui dans ma vie. 
Aujourd'hui justement, après avoir rétabli l'équilibre en redessinant de nouveaux contours à ma petite famille devenue trio, je réoriente mon énergie dans une autre bataille. Je prends  de plus en plus conscience que je suis la maman d'un enfant mal-entendant dont les besoins spécifiques se font de plus en plus ressentir. Et les enjeux sont de taille. C'est ma nouvelle bataille : préparer le CP, mettre toutes les chances de son côté pour qu'il puisse continuer à progresser, à apprendre, pour que ses différences le renforcent, pour qu'il puisse continuer à s'épanouir en dépassant son handicap. Lui laisser de la place, lui consacrer du temps, un temps spécifique, pour le coup, afin que sa petite sœur n'y laisse pas de plumes. objectif lune ? Sa scolarité. Mes plumes professionnelles avaient déjà du plomb dans l'aile. Et lui, c'est maintenant qu'il devient grand. Il ne peut pas attendre... Je vous raconterai la suite peut-être, un peu plus tard.  Je vous ai aussi préparé une petite sélection de livres sur le sujet du deuil et de la mort, mais comme mon introduction a dérivé et s'est rallongée toute seule, ce sera pour demain. D'accord ? 

7 commentaires:

  1. Mon vécu également...et celui de mes fils. Beaucoup de délicatesse et de justesse dans votre exposé. Merci.

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  2. Il n'y a rien à ajouter après une telle chronique. Emouvante, sereine et révoltée à la fois, vraie et juste. Je te souhaite tout le bonheur possible. Je ne doute pas le moins du monde, que tes enfants, grâce à toi, le vivront, ce bonheur au quotidien. Et que le handicap de ton petit bonhomme sera un parcours de vie qu'il franchira, serein, étape par étape, avec toi à ses côtés.

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  3. La vie sans la vie. La vie après la vie.La vie est toujours la vie, après tout...dense, belle malgré tout...grâce à eux vos enfants.
    Sinon, il n'y pas que les malentendants qui le soient. La vie, toujours elle,est si pleine de... malentendus... source de beaucoup de maux.
    Mes vos mots, je les ai bien entendus...

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  4. Message rapide à l'heure (trop) tardive d'une maman solo. Juste pour dire merci ! Merci pour ces chroniques qui dérivent, ces intro qui se prolongent, cette écriture au fil des pensées...ce soir j'ai le coeur au bord des yeux en lisant ces billets en retard. Parce que même après 4 ans les coups de blues sont présents de temps en temps, parce que ça fait du bien de lire quelqu'un qui décrit aussi bien ce que je ressens ou ai ressenti parfois, parce que la vie peut être pleine de révoltes, de colères mais aussi d'un nombre incalculables de petits bonheurs à savourer. Merci pour ces petits bouts de vie partagés !

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  5. *incalculaBLE bien sûr ! On va mettre ça sur le compte de la fatigue et des yeux un peu brouillés...;-)

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  6. pfff tant d'émotions qui sont remontées à la lecture de ce message... 21 ans il y a quelques jours, que mon papa a passé la porte de la maison pour aller travailler, et n'a jamais pu y revenir... 21 ans, et pourtant j'ai encore 13 ans, comme ce jour-là, quand je lis tes mots. De douces pensées...

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  7. Merci à vous de laisser une trace de votre passage, surtout sur ce type de chronique que je commence à assumer de mieux partager...

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