samedi 29 juin 2013

Annelise Heurtier raconte Sweet Sixteen

Hier, à l'occasion de notre nouveau rendez-vous mensuel, Regards Croisés sur un album ou un roman avec Gabriel de La Mare aux Mots, nous vous parlions de Sweet Sixteen, l'excellent roman d'Annelise Heurtier paru aux éditions Casterman et qui nous fait le plaisir et le privilège de répondre à quelques questions. 


3 questions à Annelise Heurtier 

Peux-tu nous expliquer la genèse de Sweet Sixteen ? Comment est né ce projet, pourquoi tu as souhaité travailler sur cette question, quel rapport à la réalité a ton histoire, comment t'es-tu documentée ?
A la fin de l'année 2010, j'ai eu envie d'écrire un roman sur la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Je suis bien incapable d’expliquer d’où cette idée m’est venue. Peut-être était-ce l'effet "Couleur des sentiments" que j'avais beaucoup aimé. Quoi qu’il en soit, j’ai donc commencé, doucement, à réfléchir sous quel angle je pouvais aborder cet (immensément) vaste sujet. Puis, de fil en aiguille, j'en suis arrivée à me documenter sur les Neuf de Little Rock, épisode dont j’avais déjà entendu parler, mais de manière très survolée. 
Je n'ai pas hésité à changer de cap, parce que je sentais que j’avais trouvé un sujet qui me passionnait. Comme je l’ai dit, j'étais loin d'être une experte sur ce sujet et ce malheureux constat aurait pu suffire à me décourager. A l'inverse, j'ai tout de suite été enthousiaste à l'idée d'apprendre, comme pour Le Carnet Rouge (Casterman, 2011), même si cela nécessitait d'importantes recherches documentaires. Outre les rebondissements politico-judiciaires directement liés à cet épisode, il fallait que je dispose de références plus larges, qui viendraient donner toute la véracité nécessaire à mon propos : contexte économique, mode musicale et vestimentaire, voitures, habitudes alimentaires, et le tout, bien entendu, en fonction des classes sociales....
Internet m'a beaucoup aidée (je pense d'ailleurs que l'existence de ce media a profondément impacté la littérature : il est possible aujourd'hui, pour n'importe quel auteur, d'écrire sans trop de difficultés sur n'importe quel pays ou période), mais aussi des ouvrages  (romans ou documentaires) empruntés à la bibliothèque. J'ai bien entendu lu quelques biographies, dont celle de Melba Patillo ( Warriors don't cry, Washington square press), l'une des neufs ayant intégré le Lycée Central et dont je me suis directement inspirée pour composer le personnage de Molly. 

Comment as-tu élaboré tes deux personnages principaux ? Deux personnages plutôt sobres, Grace fait partie de la bande de Brook sans être vraiment teintée politiquement alors que son amie semble faire partie d'une famille proche du KKC. Molly a tout d'une jeune fille simple et gentille, elle a atterri dans le lycée plus par hasard que par conviction. C'est peut-être ce point commun qui fait qu'elles vont se rencontrer et que l'histoire s'articulera autour d'elles ?

Pour le personnage de Molly, je me suis inspirée du témoignage laissé par Melba Patillo. Par contre, comme le but n’était pas du tout de réaliser une biographie (comment aurais-je pu !), j’ai pris énormément de libertés (elle n’avait pas d’amoureux prénommé Vince, puisqu’on m’a déjà posé la question). Forcément, je me suis demandé comment le lecteur allait savoir si tel ou tel passage était réel ou inventé, et si cette incertitude constituait un problème en soi. Dans le fond, je suis arrivée à la conclusion que peu importe ce qui est tiré de la réalité ou pas : ce que je voulais faire, c'est retranscrire l'ambiance et le contexte particulier associés à cette page de l'histoire, en mettant en scène des personnages et des relations qui auraient pu exister. Après, je pense que le lecteur comprend intuitivement que toutes les petites "anecdotes" périphériques (mise à l'écart du chanteur Frankie Lymon, cartes postales figurant des noirs lynchés et pendus, meurtre d'Emmit Till, solitude d'Elizabeth Eckford le jour de la rentrée..) sont réelles. Et dans le cas inverse, il peut toujours effectuer des recherches sur internet.  
Grace (et les autres personnages sont tout à fait inventés). Je ne voulais pas en faire la « gentille blanche », la pasionaria qui prend parti pour une cause pour laquelle elle n’a rien à gagner et en se mettant à dos toute la société dont elle est issue. C’était peu crédible et trop cliché. Des gens comme ça, il y en a tellement peu… D’où mon idée de montrer un cheminement, une évolution de pensée un peu différente, qui est avant tout motivé par des principes « égoïstes ». Comme elle le dit elle-même, Grace n’est du côté de personne. Juste du sien.
A quel lecteur s'adresse-t-il, à quelle tranche d'âge ? Qu'as-tu envie de transmettre ?
Je ne sais pas…J’imagine que cela dépend de la maturité du jeune lecteur, de ce qu’il a l’habitude de  lire. J’ai une amie qui l’a lu à sa fille de 9 ans. Mais on peut tout à fait le lire quand on est adulte également. L’histoire de ces neuf jeunes est assez peu connue en France, il me semble. 
C'est la petite question subsidiaire, le petit mot qui tu souhaiterais glisser autour de ce roman, qu'il soit un coup de coeur ou un coup de griffe.
 J'aimerais qu'à la lecture de ce roman, on puisse simplement se poser deux questions : 
1/ A la place de ces blancs, élevés dans l'idée que les noirs ne méritaient pas la même place que nous, comment est-ce que nous aurions réagi ? D'emblée, aurions-nous eu le courage de soutenir publiquement la cause de ces neuf jeunes, nous exposant à perdre nos emplois, voire à être lynchés? 
2/ Si la ségrégation suscite aujourd'hui une indignation naturelle et légitime, est-ce que nos sociétés, dans le fond, ont tant évolué ? Il n'est pas nécessaire de se creuser la tête très longtemps pour trouver des parallèles avec notre société actuelle. Ouverture du mur des lamentations aux femmes, relations entre juifs et musulmans et, à une autre échelle, le débat sur le mariage pour tous. Sur ce dernier point, quelle que soit l'opinion que l'on peut avoir, il me semble que la haine viscérale qui s'est manifestée envers la communauté gay (en paroles ou en actes) n'est pas très éloignée de ce que je décris dans mon roman, au moins sur le fond. Non ? 


Retrouvez ma chronique sur ce roman iCi

4 commentaires:

  1. Chouette ! Mes deux chroniqueurs préférés en même temps, quel bonheur... Sweet Sixteen sera très probablement pour Mathilde, c'est bientôt son anniversaire !

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  2. Super interview, le livre est à la maison pour Emelyne mon ado de 14 ans et puis moi aussi j'ai envie de le lire .
    Merci à vous 2 pour l'interview et m'avoir encore donné plus envie de lire le roman
    À bientôt

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