dimanche 11 septembre 2016

Rêve général !


Dans le désordre de Marion Brunet, le roman uppercut de mon printemps très occupé. Un coup de poing gauche levé et final, du genre de ceux qui  se hissent droits et forts comme un souffle de vie, des souffles de vie, la jeunesse rebelle, croquée au présent. Comme à l'ancienne, elle trace son début de vie d'adulte dans cette histoire singulière dans sa construction et collective, solidaire, rebelle et fraternelle dans ce qu'elle livre. La jeunesse, brossée en portraits croisés, celle par laquelle on est à peu près passé, sans trépasser, nous. Sans oublier non plus. Les sensations des manifs, les lacrymos qui piquent et qui font pleurer, la fac bloquée, inaccessible, occupée. Le rectorat, la fameuse Présidence, ou bien encore les parvis de Bastille à Répu, de Répu à un café, à une nouvelle AG, à un appart squatté, à un lieu occupé, à un préfabriqué de la Fac encore, ça tourne pas en rond, le F le préfa si possible, si Rennes 2. Les collages de nuit, les réunions sans chef (mais avec leader, ben si), les chansons, les actions, les diff du petit matin, les slogans peints sur des cartons de récup, des draps maintenus par des manches à balai. N'oublions pas les trous pour laisser passer l'air et éviter la prise au vent, le café noir, le croissant parfois en début de mois au petit matin de ces nuits de collage ou d'occupation. J'écris ça dans le désordre, comme ça vient, comme je m'en souviens, moi des miennes, de ces années qui ont pris quelques rides et quelques ampoules aussi, sous les pieds. Nous étions plein. Ils sont plein aussi, des camarades. On dit aussi des copains dans le milieu et puis un jour il arrive qu'on devienne ami, et puis un jour aussi qu'on se dise oui, pas pour la vie, on n'est pas comme ça, non, pour un bout de chemin, et deux trois autres trucs aussi. Ils sont sept en particulier. Ils se rencontrent en pleine manif, au moment où ça dérape, où ça castagne, où  ça lacrymo,  où ça tabasse où ça panier à salade où ça garde à vue. Ils ne viennent pas des mêmes horizons, prolo,bourg', bobos, 3e génération aussi ou 2e peut-être, enfant d'immigrés. Pour certains l'avenir aurait été tout tracé, en droit, filles et fils à papa. Pour d'autres dès le départ c'était plus compliqué, alors ils se sont tirés et se sont retrouvés presque par hasard dans un vent libertaire aux empreintes de chat noir hérissé, dans un squat à occuper. ça discute, ça fomente, ça picole, ça fume, ça lit, ça refait le monde; ça s'aime aussi, ça découvre, ça joue, ça s'aime encore Jeanne et Basile. ça saigne, ça pleure, ça se vide, ça lutte, ça revient, ça hargne. Colère. Marion, on s'y croit. On y est. L'écriture de l'auteure équilibrée, rythmée et très construite, brosse de l'anar comme si on y était. Révolte, squat, descente de bière, de flics, fougue, hargne. T'y étais, hein ? Et puis il y a eu Rémi Fraysse et t'y es retournée parce qu'on peut pas laisser comme ça un môme le crâne brisé sur le bitume parce qu'il dit non, parce qu'il crie non, parce qu'il rêve comme nous, d'une autre société. Parce qu'il rêvait, plutôt. Stop. Clap de fin. Amis, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines. Le môme c'était notre pote, c'était le copain avec qui tu diffes le jeudi matin à 5h00 en entrée de boîte, c'était peut-être notre neveu ou notre fils aussi. Parce que les chats électrisés ne font pas des chienchiens à leur mémère. J'ai mis du temps à me remettre de ce bouquin qui m'a clairement retourné la tête, bouleversée et fait émerger des tas d'images d'avant. On n'a pas les mêmes on ne vient pas des mêmes mouvements, mais on a forcément fait des vagues ensemble. Et ça continue, la vie. Pour Jeanne aussi.

On n'est pas des moutons ! de Claire Cantais et Yann Fastier, Parce qu'il n'y pas d'âge pour regarder la société comme elle est, pour s'étonner de ce qui est étonnant, pour ne pas faire pousser d’œillère ou d'idées guerrières, parce qu'il n'y pas d'âge pour questionner, demander des réponses, s'intéresser à la politique, philosopher, dire et grandir égalité, il y a La Ville Brûle, une maison d'édition qui ne fait pas mine de mettre les pieds dans le plat et proposant aux jeunes lecteurs, de quoi nourrir ses idées et ne pas gober les préconçues, les prés carrés ni accepter la précarité.  On n'est pas des moutons, non, "pas un mouton derrière un autre mouton et trois et quatre et mille moutons, bêlant, broutant, crottant en chœur", on n'est  pas des petits singes savants, ni une autruche la tête dans le sable, ni une fourmi ultra travailleuse pour la reine et rien pour sa pomme. On n'est pas des cochons engraissés au burger et à la boisson à bulles sucrée et marron. On n'est pas des carpes muettes, des gentils toutous... dans cet album la société se fait mettre en boîte par des portraits d'animaux grinçants, une version pop et efficace de l'Animal farm.
*** Les références ***
Dans le désordre de Marion Brunet - Editions Sarbacane - janvier 2016 - 15,50 € - Dés 13 ans
On n'est pas des moutons ! de Claire Cantais et Yann Fastier - Editions La ville Brûle - mars 2016 - 13 € - Dés 4 ans

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