vendredi 20 novembre 2015

Le ciel est bleu comme une enclume # Attentats de Paris

Vendredi 13 novembre 2015. Je suis loin mais j'ai l'info très vite, je suis en train d'écrire ma chronique. Les télés ne disent rien. Le site du Monde bugue. J'ai l'impression qu'il a fallu un temps de folie pour avoir de l'info sourcée sur cette folie justement qui semble être alors en cours. Et blam, c'est tombé, tombé, tombé, tombé. Et blam, le chiffres des victimes est monté, monté, monté. Le choc, le scotch sur les différents sites d'actu, les fils radio, les réseaux sociaux. Plus de télé. Merci. Je ne l'ai allumée que lundi soir pour Le Petit journal, dont l'équipe endeuillée, a réalisé une émission d'une grande qualité, forte, émouvante, engagée, drôle, généreuse et élégante... Pour Fanny leur monteuse, pour toutes les autres victimes aussi. Depuis, cette soirée atroce de vendredi dernier, c'est la sidération. J'ai adopté un parpaing. Il est logé dans mon bide, il n'a pas l'air de vouloir beaucoup bouger. Et l'écho aux attentats de janvier est terrible, il dit que les rouages sont bien enclenchés et qu'ils continuent à tourner. Probablement doucement, pas tout à fait sûrement car on apprend aussi régulièrement que certains sont déjoués, mais cette fois-ci de manière absolument soudaine, multiple, terrible : ils ont massacré. Les trois équipes de commandos se sont coordonnées pour sauter à la gueule de femmes et d'hommes, pour une fois il y avait égalité, pour toucher avec eux la culture et la jeunesse françaises. Liberté, ouverture, rock, tendances bobos, hipster, badaud, passant, voisin, who ever, wathever. Cible première la jeunesse vingt-trentenaire. Ils ont pété la gueule à leurs camarades de classe. Moyennes d'âge des kamikazes et des victimes sont terriblement proches. Ils ont appris à écrire et à lire ensemble, dans le même pays, au même moment. Mais c'est plus l'heure de la récré. Frustrés, cinglés, embrigadés, ils voulaient que ça saigne.
Que le peuple saigne. Ils ont tenté ainsi de viser le plus populaire des sports en agissant à proximité d'un stade de France trop sécurisé pour qu'il soit vraiment possible d'y entrer. Populaire, le peuple. Le peuple, nous. Ils s'en sont pris à nos copains, à nos copines, disait l'une des miennes. Oui c'est ça, c'est ce sentiment que j'ai ressenti aussi directement sans en trouver les mots. A nos frères et sœurs, à nos potes, à nos cousins-cousines. Je ne savais pas alors que l'un des siens faisait partie des victimes.
Les jours d'après. Cette ultra-violence est hors de mon entendement. Hors de notre entendement. Alors j'ai adopté un parpaing. Je ne suis pas la seule. J'ai pas PRAYer pour PARISsss. Merci bien. J'ai expliqué les faits à mes enfants, avec mes mots, mes filtres, le sujet allait être abordé en classe dès le lundi. Je n'ai rien annulé de ce qui était prévu, un salon du livre jeunesse en Bretagne, et on y est même allé plutôt deux fois qu'une. Et j'ai caché mon parpaing. Et je suis restée fade, estomaquée, médusée, sidérée bien quelques jours. Le temps peut-être du deuil national qui s'achevant m'autorisait à republier tout en pensant aux blessés, aux familles et proches des victimes pour qui ce deuil n'a pas encore commencé. Je pense à l'efficacité des intervenants, des sauveteurs, des soignants. Aux témoins. A leur choc inimaginable. Ils parlaient de scènes de guerre.
Ma Grenouille surprenant parfois mon regard probablement vide, ou alors tellement empli de tristesse, m'a fait ce dessin alors que je cherchais des illustrations pour cette chronique qu'il me fallait égoïstement écrire. La tristesse, les yeux qui pleurent, la bouche fermée, muette, retenue, asséchée, dedans. La main sur le cœur pourtant et tous ces petits cœurs qui cacheraient si bien mon parpaing. Elle l'a fait en deux temps trois mouvements, mon éponge. Je n'ai pas le cœur ni les mots pour m'exprimer plus à ce sujet. Je pense beaucoup aux victimes, à leurs familles, à l'entourage des personnes qui ne sont pas encore identifiées, à celles qui sont encore entre la vie et la mort, je pense beaucoup aux blessés, à mes amis parisiens qui ont eux aussi adopté un parpaing mais qui s'en sont jeté une en terrasse, de bière. Je pense aux voisines et voisins des lieux du drames, à mes copains-copines, à leurs enfants, à leur force et en leur foi en l'humanité. Admiration. Et sentiment d'impuissance, j'aurais aimé, du Finistère à Paris, les serrer dans mes bras, je le leur écris comme ça pour qu'elles et ils le sachent mieux. Et prendre un verre. De vin rouge, plutôt, je suis moins bière. Mais je suis restée terrassée. Et depuis que j'ai repris la plume sans encore publier, il y a eu Saint-Denis.
Je me suis posé la question du choix des albums qui allaient accompagner cette chronique, puisque c'est quand même la mission première de ce blog. Puisque le mot est sorti, la guerre ? Non. Il est dans la bouche des politiques et les bombes sont larguées. Il est dans les mots des djihadistes qui sont en guerre contre nous. Mais nous on n'est pas en guerre. On ne veut pas être en guerre ! Nous c'est pas la France, c'est pas l'Europe, les Etats-unis, la Russie, Nous c'est l'humanité, la liberté, la fraternité. Nous c'est tous, ensemble. Et ces gens qui traversent les mers dans des coquilles de noix, au risque de la noyade, de la perte de leur vie, de celles de leurs enfants, j'y pense aussi. Ils estiment finalement - horreur absolue - que face à cette terreur là, quotidienne sur les terres qui les a vus naître, la mort ne serait pas pire que celle qu'ils trouveraient en restant là-bas. Ce n'est pas non plus leur guerre, cette guerre de lâches. Ils larguent tout et au-delà des mers, l'espoir ? Une nouvelle chance ? Donnons-les leur. Je ne vais pas mettre en avant des livres qui parlent de la guerre. Je n'ai pas envie pour le moment, choquée encore, ahurie, de lire sur ce sujet là. Je n'ai pas mis non plus ce mot dans la bouche de mes enfants. Je préfère l'exact flou du mot terrorisme.
Non, dans cette chronique et alors que mes jambes sont molles, que ma bouche est fermée, mes dents serrées, mon parpaing en pleine forme, priorité aux valeurs. Je ne parlerai pas de la kalash contre la fleur symbole, ce n'est pas non plus ce que je peux leur dire pour l'instant, à mes enfants qui ont plutôt besoin d'être rassurés et de se sentir aimés et protégés. Même loin de là, en province. Par contre, je veille et je ne suis pas la seule. Je ne veux pas que nos libertés soient rognées par une politique ultra sécuritaire. Je ne veux pas que l'on barricade nos frontières, que l'on se barricade dans nos chaumières sans ne plus tendre la main ou regarder son voisin. Je m'étonne qu'on autorise les uniformes hors service à porter leurs armes de service. Quelle formation, quel cadre pour la police municipale désormais autorisée aussi à en porter également ? C'est vrai que j'appréhende des actes isolés de fanatiques religieux, de cinglés. J'ai peur de la recrudescence des agressions racistes, de la montée en flèche de la droite extrême, de la contamination nationaliste qui gangrène la vie quotidienne, nos libertés, l'égalité, nos droits, notre regard sur le monde, sur la vie, la culture sous toutes ses formes. J'ai peur de ça. Mais j'ai aussi peur des bavures et des schémas hâtifs, des lois votées sous le coup des émotions. Elles sont vives pour tous. Mais les bavures armées, je n'ose même pas imaginer. Alors non, je ne parlerai pas de guerre ni de nationalisme, ni d'égoïsme, d'impérialisme, de trafics de drogues, de ventes d'armes et de transactions pétrolières, encore moins d'économie ou du capitalisme qui les nourrit : ne sont pas innocents ceux qui ont, en l'occurrence, les mains pleines. Billets maculés. Peuple ensanglanté.
J'ai fait ma sélection en pensant respect, égalité, partage, amitié, tolérance, fraternité, solidarité, liberté, pacifisme car ce sont ces valeurs là que je veux entretenir, sauvegarder, transmettre à mes enfants que je voudrais voir grandir, ô utopiste que je suis, dans un univers de paix. Et je l'écris. Non pour me faire moquer et me voir étiqueter d'un substantif naviguant entre naïveté et niaiserie. Je l'écris d'abord pour me rappeler de ma candeur, quand je vivais à Paris et que j'avais cet âge là, celui des plus jeunes victimes. Je l'écris aussi pour dire que ces valeurs je ne les ai pas perdues, et je sais que je ne suis pas la seule à vivre avec. Il est important de se le dire car il va nous falloir embrayer après l'horreur et l'effroi, nous unir, parce qu'il va y avoir du boulot pour faire front contre les fronts.

Un mur si haut de Nancy Guilbert et Stéphanie Augusseau. Amis pour la vie, c'est ce que se sont dit Plume et Timy, une fille et un garçon de deux ethnies différentes. Deux enfants qui partagent tout et se voient tous les jours jusqu'à ce que les rois de leurs villages respectifs se fâchent et décident de construire un mur immense entre les deux territoires. Il n'est plus possible pour Plume et Timy de se voir... le mur est infranchissable. Entre eux, dorénavant, les pierres froides. En eux le chagrin. Jusqu'au jour où le Roi Blanc tombe gravement malade. Le seul remède se trouve de l'autre côté du mur, sur le territoire du Roi Bleu. Mais il lui était inconcevable de franchir le mur même pour sa survie. Le Roi Blanc tout pouvoir était têtu, le Bleu autant. Mais les peuples unis viendront à sa merci. Le mur n'est pas sans rappeler celui de Berlin bien sûr, pourtant dans cet album là pas d'indicateur de lieu, le marquage du temps passe par l'illustration des vêtements d'antan. Comme pour dire ce qui n'est pas écrit "il était une fois", "Il y a fort longtemps"... La narration prend d'ailleurs le style du conte pour tendre à l'universalité du message : amitié, solidarité et tolérance. Les illustrations sont douces, sobres et très élégantes, parfois tristes et pourtant très attirantes : un bel album.
Une île sous la pluie de Morgane de Cadier et Florian Pigé. D'un côté, une île urbanisée où il pleut tout le temps, tellement que "ses grands immeubles n'ont jamais le temps de sécher". De l'autre côté, une seconde île restée à l'état sauvage et sur laquelle il ne pleut jamais. Chats distingués d'un côté, habillés et ne sortant jamais sans parapluie ;  chats sauvages de l'autre, sans garde-robe ou presque ni bonnes manières, au contraire. Civilisation versus sauvageons, le contexte est posé. Alors quand l'un de ces chats sauvages débarque à la nage sur l'île pluvieuse des chats de la "haute", ça dénote fortement. "Il saute dans toutes les flaques et danse sous la pluie en riant". Il pêche ses poissons lui-même, chasse les souris, mange à même le sol, dort à la belle étoile
"Partout dans la ville, les habitants s'offusquent : 
- Mais d'où vient-il celui là ? ce ne sont pas des manières !
- Une seule chose est sûre : il n'est pas d'ici!"
C'est vrai, mais il s'installe. Alors les chats civilisés plutôt bienveillants, décident de l'aider à s'intégrer : vêtements, bonnes manières, parapluie... Rien ne fonctionne "renvoyons-le d'où il vient!". Et quand vient le déluge sur l'île civilisée des chats qui ne savent pas nager, qui viendra pourtant les sauver ? Un très bel album autour de l'importance et de la richesse de l'interculturalité et de l'intégration. Les illustrations au graphisme géométrique livre l'essentiel et sert le texte avec générosité dans l'occupation de la France. Son édition soignée, beau format, beau papier est de très belle qualité.

Avec cette première chronique après le 13 novembre, je voulais aussi rendre hommage aux voisins, aux voisines. Dire merci à ceux qui ont ouvert leurs portes, leurs porches dans cette société habituellement si fermées, qui se sont soudés, rassemblés qui se sont souris, après avoir tremblé et pleuré ensemble. Ces gens qui ne se ressemblent pas, mixité culturelle, ethnique, mixité sociale, mais vivent au même endroit, qui n'avaient peut-être alors que ce point commun là, la localisation à quoi tout le monde donnera dorénavant un autre sens. 
Rue des voisins d'Aurélie Dufour  et Coline Citron. A chacun sa vie, sa maison, ses habitudes, sa solitude, ses cloisons, ses peurs et ses œillères, Rue des Voisins. C'est une rue n'importe où qui compte quatre maisons et quatre voisins "ni plus, ni moins". Dans la maison rouge, Monsieur Stan statisticien "En mettant le nez dehors, il aurait aussi une chance sur cinq milliards de tomber nez à nez avec un alligator!". Madame Muguette, elle, a pour passion les jeux de loterie, elle gagne, tout, trop, amasse, entasse pour combler peut-être le vide que provoque l'extrême solitude. Dans la maison bleue, Tristan est un mélomane, il écoute le chant des oiseaux tellement, qu'il en oublie de sortir... Personne ne se connaissait, personne "n'avait quitté son petit nid douillet" jusqu'à ce qu'un salon de thé s'installe dans le quartier et vient tout chambouler, il devient le point névralgique du quartier, tout le monde y sort, s'y croise, échange, s'ouvre, s'amuse... Un album aux illustrations denses et joyeuses qui fait du bien !

Et puis il me faut aussi parler de la mort... J'ai déjà réalisé un certain nombre de chroniques sur la question (voir Ici). Pour cette fois et parce qu'il parle du poids du chagrin, je vous invite à la lecture de Mon chagrin éléphant de Cécile Roumiguière et Madalena Matoso, un album qui fait écho à mon parpaing. Le chagrin que provoque le décès de sa grand-mère, fait apparaître à un jeune garçon un éléphant qui le suit partout, tout le temps. Lourd, pataud, grand, le chagrin personnifié est un sacré éléphant, un tout bleu avec du rose.  "je me suis habitué à lui" même s'il faut bien dire que sa présence n'est pas des plus agréables. "Quand je suis seul, le soir, dans mon lit, il me tient compagnie. Il prend toute la place et rie la couette sur lui, alors j'ai un peu froid". Sa taille varie, "est-ce qu'il disparaîtra un jour comme il est venu ? ". C'est toute la question de l'album dans lequel le jeune héros doit initier son deuil. Un album fort émouvant au style graphique de haut vol, couleurs pleines et intenses mais traits minimalistes. Une histoire à lire et à relire comme pour apprivoiser le chagrin et pourquoi pas aussi initier le long chemin que peut être le deuil. Un texte pudique qui se tisse avec des mots d'enfants autour d'une comptine enfantine qui revient en ritournelle, Une Souris verte, peut-être transmise, on ne le sait, par sa Mamiette qui manque tant ?

*** Les références ***

Un mur si haut  de Nancy Guilbert et Stéphanie Augusseau - Editions Des Ronds dans l'O jeunesse -  Novembre 2015 - 16 € - à partir de 5 ans 
* Une île sous la pluie de de Morgane de Cadier et Florian Pigé - Editions Balivernes - novembre 2015 - 13 
Rue des voisins d'Aurélie Desfour et Coline Citron - Editions Les P'tits Bérets - 2015 - 12,90 € - à partir de 5 ans 
* Mon chagrin éléphant de Cécile Roumiguière et Madalena Matoso - Editions Thierry Magnier - 26 août 2015 - 15 € - à partir de 4 ans 

5 commentaires:

  1. Magnifique billet. Je suis touchée, tu as su mettre des mots sur les sentiments confus que je ressens depuis une semaine...

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  2. Merci Maman Baobab ♡♡ de si bien déposer les mots sur le papier ...

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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    1. Jean-Laurent je ne sais pas ce que tu fais là mais tu peux repartir bien plus discrètement que tu n'es arrivé !

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