mardi 23 juin 2015

Les nœuds et la mort (parler de la mort avec des enfants)

La mort arrive souvent soudainement, brutalement. Elle ne prévient pas toujours. Elle est d'autant plus terrible, difficile, incompréhensible et injuste, quand elle ne s'inscrit pas dans le cours naturel de la vie. Un enfant. A l'aube des grandes vacances, des fêtes de fin d'année scolaire, à l'aube de l'entrée au collège, de tous les rêves à peine pensés par manque de temps, à peine projetés par manque de maturité, à l'aube de toutes les promesses d'un avenir souriant, l'enfant est parti. Famille en deuil, école en deuil, village en berne. Chaise vide, à table, à l'école, équipes de sports, d'amis, bande de copains amputées par la disparition soudaine d'un enfant, fauché par la maladie. Foudroyant. Il est difficile de trouver les mots justes en pareilles circonstances. De trouver les mots tout court. On ne peut que penser à la famille, aux parents, à la fratrie, aux proches. On ne peut que penser à l'enfant dont la vie a été interrompue en pleine insouciance. Je pense aussi aux enseignants, aux équipes pédagogiques et d'animation qui doivent à la fois vivre cette terrible épreuve et accompagner les enfants qui perdent un ami, un copain de classe ou de la classe d'à côté, une connaissance, plus ou moins vague, l'un des leurs, de toute façon. Et dire l'un des leurs, ce n'est pas rien. Bien au contraire, c'est peut-être encore plus traumatisant quand il s'agit de l'enfant à côté, du miroir. Encore plus traumatisant, quand rien n'était annoncé, rien ne pouvait être réparé, quand elle survient d'une cause difficilement compréhensible et surtout invisible. "Et moi pour moi maman la mort elle vient ? J'ai peur". Il n'est plus tout à fait question de lointaine philosophie face à cette question terrible d'une enfant de bientôt six ans qui prend en pleine face le tragique destin d'un enfant qui n'avait de proche que le lieu d'école, elle ne le connaissait pas. Il est question de la vraie vie et dans la vraie vie, il y a la mort. Un sujet qui devient inquiétant quand on en prend conscience. J'ai fait, enfant, autour de la mort de mon propre père, des dizaines de fois le même cauchemar, tu jusqu'alors. Je ne veux pas que mes enfants ne puissent aborder le sujet. Alors chaque fois que nous y avons été confrontés de beaucoup trop près ou de loin, j'ai jalonné pour laisser venir les mots. Et cette fois-ci, pour la première fois, nous abordons le sujet en apprenant le décès d'un enfant. Alors entre deux ou trois cartons non ouverts, il y a des livres qui aident à délier les langues, à délier les boules qui se nichent dans les gorges. Qui aident à se confronter à la réalité, par métaphore, parallèles ou rebonds. Il y a urgence. Ils ne font pas tout, mais ils peuvent être là, plus ou moins à propos. Ce soir nous avons lu deux titres, les voici.
Où es-tu, Lulu de Laurence Pérouème et Cécile Rescan. Lulu n'est pas à l'école ce matin. " Où est Lulu ? demande [Théo] à Emilie, la maîtresse?
Le petit garçon ne sait pas pouruoi Emilie a les yeux pleins de larmes. 
- Lulu ne reviendra pas, Théo. Il a eu un accident. "
Lulu et Théo sont amis de maternelle, 5 ans tout rond. Alors Théo ne connait pas les notions de gravité, de mort, de non retour mais "la cour paraît vide". Théo est mort et il doit le comprendre en éprouvant cette terrible expérience qu'est le vide. C'est avec beaucoup de sensibilité et un dessin sobre, élégant et léger que cet album aborde la disparition soudaine d'un enfant dans le cadre scolaire et le lien incontournable à faire entre les discussions à l'école et celles à la maison. Le temps passe, l'enfant comprend l'irréversibilité des choses, son chagrin se transforme, fil d'Ariane du temps, le marronnier mentionné tout au long de la narration incarne le passage des saisons. Bémol, sur une courte partie du texte, dans un dialogue entre l'enfant et la maman, cette dernière lui indique "il est au ciel avec tous ceux qui nous ont quittés" ; l'enfant fait redescendre cependant la discussion sur terre (à terre) en rétorquant : pourquoi lui dire qu'il est au ciel si on ne peut plus le voir ? Cet album n'en reste pas moins un ouvrage fort et utile pour libérer discussions et émotions et regarder devant.
J'ai laissé mon âme au vent de Roxane Marie Galliez et Eric Puybaret. Rendez-vous sur la dune, les cheveux au vent, rendez-vous au cœur de l'enfance, aux côtés d'un jeune garçon qui se laisse porter par une narration que l'on découvre menée par son grand-père décédé. Comme une lettre laissée sur le bord d'une table pour rassurer, apaiser, dire à l'enfant que le cours de la vie est ainsi mais qu'il y aura toujours quelqu'un ou quelque chose pour le protéger. Un nuage pourquoi pas. Pour dire à l'enfant, qu'après le printemps vient l'été, que les fleurs repousseront, normalement, que les sourires resteront sur les lèvres et les joues, que "les étoiles s'illuminent malgré la vie semée de petits cailloux". Dans cet album d'une grande tendresse, c'est une caresse qui parle, voix dans la brise légère, un dernier souffle d'optimisme pour donner à l'enfant l'envie de continuer à être, à vivre, à regarder demain. Pas de ponctuation d'ailleurs. Les illustrations douces et poétiques pointent l'horizon, frisent la nature, jouent avec des couleurs aqueuses, vaporeuses pour parler aussi du souvenir. Un petit paquet de graines de fleurs "Immortelles" sont glissées à la fin de l'album, comme un hymne à la vie. 

*** Les références ***
Où es-tu, Lulu ?  de Laurence Pérouène et Cécile Rescan - Editions Naïve -  2012 - 13 € - à partir de 5 ans
*  J'ai laissé mon âme au vent  de Roxane Marie Galliez et Eric Puybaret - Editions de la Martinière Jeunesse -  septembre 2013 - 14,50 € - à partir de 3 ans.

Des chroniques sur la mort... 
Parler de la mort etc Ici
Quand la nature s'éveille, je parle de la mort Ici
Des livres sur la mort Ici
Quelques chroniques de livres autour de la mort, du deuil, du cancer.... 
. La Croûte de Charlotte Moundlic illustré par Olivier Tallec - Flammarion -  Ici 
Jojo la Mache d'Olivier Douzou, éditions du Rouergue Ici
Au revoir Blaireau, de Susan Varley, éditions Gallimard Jeunesse, 1984 Ici
Alice au pays du Cancer de de Martine Hennuy et Sophie Buyse, illustrations de Lisbeth Renardy - Editions Alice Jeunesse Ici
Lucie est partie de Sebastian Loth, éditions NordSud, 2010. Ici 
Les tortues de Bolilanga, Franck Prévot, éditions Thierry Magnier, 209, 7,50 € Ici
Nos Etoiles Contraires de John Green - traduction C. Gibert - Editions Nathan - Collection Grand Format - Ici
Les raccommodeuses des cœurs déchirés de Catibou et de Géraldine Harry, Edition Les Petits Pas de Joanni, ici
L'étrange Réveillon de Bertrand Santini et Lionel Richerand, éditions Grasset Jeunesse,Ici
Sept jours à l'envers de Thomas Gornet, Editions du Rouergue, collection Doado, 

septembre 2013 - 8,70 € - à partir de 12 ans Ici

La rose a disparu - "Parler de la mort" - de Sylvie Sarzaud et Grégoire Mabire, 
éditions Eyrolles Jeunesse, mars 2013 - 10 € - à partir de 5 ans 
T'es où papa de Benjamin Béchaux illustré par Marion Duval, 
Editions Bayard Jeunesse, octobre 2013 - 11,90€ - à partir de 3 ans 

3 commentaires:

  1. Je vais sans doute devoir faire le relais une fois l école terminée j aurais probablement des demandes sur ce sujet "sensible". Merci pour ces quelques pistes...

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  2. Ton article est très intéressant et j’avoue que j’ai parfois du mal à aborder des sujets concernant la mort avec mes filles. Dès que j’aurai le temps, je ferai un tour dans une librairie pour acheter ces livres.

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  3. Oui c'est un sujet compliqué à traiter... et souvent c'est quand on n'a pas le choix que l'on s'y penche...

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