mercredi 14 janvier 2015

*** Chic *** Pas de titre. Si : on n'a pas le choix !

"Faut-il en parler aux enfants ?" c'est une question que je ne me suis pas posée. Je n'ai pas eu le temps. Secouée d'abord moi-même par les informations, liquéfiée, mes enfants m'ont vue ainsi. Je me devais de leur expliquer pourquoi, le plus simplement possible, avec mes mots, avec des mots à leur portée en espérant être claire et le moins terrible possible. Qu'on le veuille ou non, des événements de cette importance les rattrapent dans leur quotidien, des mots, des sons, des images aussi. Et pourtant ici la télé n'est pas allumée en leur présence. On n'a pas le choix d'en parler aux enfants. Pas le choix. Et dès le lendemain, ils faisaient une minute de silence avec leurs enseignants. Impossible de ne pas en parler, dans l'urgence, d'abord pour les rassurer. Les rassurer sur moi (pourquoi je suis comme ça ? ce n'est pas de votre faute), les rassurer sur eux (vous pouvez avoir peur mais vous êtes en sécurité ici). J'ai parlé de dessins,  de journaux, de liberté d'expression (wouaw quelle notion, j'ai fait des noeuds), du journal Charlie Hebdo dont j'ai largement simplifié le contenu en le résumant aux mots idées et caricatures. Je n'ai pas parlé de religion ni d'intégristes, ni de satire, ni d'iconoclasme. Quel exercice, celui de dire simplement l'atroce, celui de donner à mes enfants la possibilité de comprendre ce qui émeut en ce moment les adultes. On en a discuté tous les jours, beaucoup. Vraiment beaucoup. Trop probablement mais ils ont su le dire. Un jour Grenouille m'a demandé d'ailleurs d'éteindre la radio. Ce que j'ai fait aussitôt. Une enfant de 5 ans ne peut pas parler comme ça. Si. Si quand on lui en donne les moyens, quand on

discute avec elle, quand on lit tous les jours des livres pour enfants depuis tout le temps. Mes enfants de 5 et de 6 ans peuvent aussi parler de bien d'autres sujets qui peuvent parfois surprendre les adultes. Et ils ne sont pas les seuls enfants à pouvoir exercer dès petits leurs réflexions et à pouvoir s'exprimer. Et je préfère - non je veux - qu'il en soit ainsi, et je préfère qu'il n'y ait pas de tabou sur les sujets qui s'imposent à nous, et je préfère que l'on discute, qu'ils aient la possibilité d'exprimer leurs craintes, de poser leurs questions, même s'il est parfois difficile de répondre et de bien répondre, plutôt que de les museler, les mettre à l'écart et de ne pas les faire participer à la vie de famille. En les impliquant dès maintenant, je crois aussi que plus tard ils participeront à la vie de la (leur) cité. Mes enfants qui avaient pu tout évacuer, tout délier, tout exprimer ont bien dormi, chacune de ces nuits passées et ils n'ont pas l'air d'être traumatisés par nos discussions non plus. C'est aussi cela la force de pouvoir parler simplement, de manière accessible et sans tabou même avec les plus jeunes. Et les sujets graves ? Je ne les provoque pas, je ne les mets pas sur le tapis. Ils viennent sans qu'on leur demande. Je ne vais pas aller chercher des images de ces attentats à travers le monde, de cette petite fille condamnée à faire sauter les siens, des ces villages rasés au Nigéria de tous ces morts, de ces personnes en fuite, de ces enfants qui se font trucider à Gaza et ailleurs, de ces femmes, de ces familles... 
J'ai reçu de nombreux mails suite à la vidéo de Grenouille que j'avais publiée sur ma page personnelle Facebook dimanche, au petit déjeuner, certes en mode public. Elle a depuis largement dépassé le million et demi de vues, un fait qui me dépasse largement également. Je ne l'avais pas mise sur la page Facebook du blog, ni sur le blog, ni au nom du blog Maman Baobab non plus d'ailleurs, mais sur ma page personnelle. Pas de quête de buzz (sinon j'aurais habillé Grenouille, fait attention à l'arrière plan, crédité les images - je suis photographe merde - je lui aurais fait brandir des pancartes...). J'ai reçu de nombreux messages sensibles, chaleureux, de personnes se sentant proches et touchées par la simplicité de la parole donnée, des témoignages qui font suite à l'émotion qui nous a tous traversés. Très très nombreux. J'ai aussi reçu des messages offusqués voire injurieux, peu, mais présents. Certains sur l'utilisation de l'image de l'enfant. Soit. Mais elle ne tient pas en main de panneaux ni de propos qui la dépassent. Elle n'est pas en une de journaux avec une pancarte "Je suis Charlie". Dans tous ces mails, le pire était celui d'une enseignante de maternelle qui indique que ce n'est pas possible qu'une enfant de cet âge s'exprime ainsi. Cela me fait penser à une des réactions de Grenouille l'année dernière, justement, alors en moyenne section. "Bon ça je ne sais pas le faire à l'école, mais je sais le faire à la maison".
Que répondre alors à ces réactions ? Donner la parole à nos enfants, leur permettre de la prendre, leur expliquer, les faire accéder à la connaissance, au savoir, les éduquer, les titiller, chatouiller leur curiosité, les conforter dans leurs compétences, leur donner des crayons, des mots, du vocabulaire, leur lire des histoires, décortiquer leur univers, leur quotidien, leur apprendre à observer, leur laisser la possibilité de s'exprimer et leur donner les moyens de le faire et nous serons probablement surpris du résultat.
C'est ce qui s'est passé pour moi dimanche matin. Scène de petit déjeuner, comme quasiment à tous les petits déjeuners j'explique aux enfants (5 et 6 ans) ce que l'on va faire dans la journée. Le point d'orgue, c'est l'événement qui va rassembler, je ne le savais pas encore, des millions d'entre nous, auquel nous nous rendrons tous les trois. Me suis-je posée la question de les y emmener ou pas ? Oui. Mais la réponse n'a pas pris un temps fou. Il fallait qu'ils y soient, comme une évidence.  Nous nous rendions à un rassemblement pacifiste. Je me sens engagée  et j'ai fait attention à ne pas parler de manifestation, mais bien de rassemblement et de marche. Grenouille reprend le mot "marche" dans son intervention. Bien sûr qu'en partie elle reformule l'essentiel de nos discussions depuis mercredi. Comment cela ne pourrait-il pas en être autrement ? Nous en reparlons donc et elle m'explique la situation. Je lui avais auparavant, à elle et à son frère, qu'à un dessin qui ne nous plaisait pas ou avec lequel on n'était pas d'accord ou qui nous a blessés, on répond par un dessin, ou bien on peut faire un procès si on veut aller plus loin. Pas s'attaquer physiquement aux personnes, pas les blesser, encore moins les tuer. Elle l'a traduit toute seule, par ce qu'elle dit sur la vidéo avec des mots et des comparaisons qui lui sont propres et qui sont en rapport avec son univers. Elle m'a scotchée.
J'ai la grippe, j'ai la tête trop pleine de tout ce qui se passe en ce moment et la température qui m'envahit me fait dire aussi que le corps dit non à ces traumatismes vécus même de manière géographiquement lointaine. Alors je vous laisse avec une vidéo de Serge Tisseron pédopsychiatre, que je trouve bien faite, sur un sujet que je défends particulièrement, parler aux enfants (ici), une question à laquelle j'ai été confrontée très vite, quand jeune maman, j'ai dû expliquer à mes très jeunes enfants comment leur papa était décédé et pourquoi c'était injuste et que l'on pouvait être très en colère de cette situation. La mort, malheureusement, ils connaissent ce sujet. Des sujets graves, ils y ont été confrontés très vite, ça se digère mieux en parlant. Je n'ai pas eu spécialement envie d'aborder ces sujets avec mes enfants, je n'ai pas eu le choix. Plus de 2000 morts au Nigéria dans des villages incendiés pendant ce temps là, des explosifs fixés sur une petite fille font une vingtaine de morts, dont l'enfant ; pendant ce temps là abominations, monstruosités, innommables et ignominies continuent à Gaza et ailleurs, pendant ce temps là Raïf Badaoui est fouetté et pendant ce temps là mes enfants n'ont pas accès à ces informations et tant que je le pourrai je les en préserverai et je pleurerai en (leur)secret. Et je continuerai à lire des articles comme de Courrier International Ici.
Mais comme ce qui nous réunit sur ce blog c'est principalement la littérature jeunesse, en lien avec ce qui nous préoccupe actuellement, je vous renvoie vers ma chronique  Mots terreurs Mots rumeurs dans laquelle vos retrouverez un excellent roman pour ado Une arme dans la tête de Claire Mazard chez Flammarion Ici qui m'avait bouleversée en novembre dernier et invite les plus jeunes à la lecture de l'album Les frères moustaches d'Alex Cousseau et Charles Dutertre aux éditions du Rouergue. En ouvrant l'album dont la couverture offre une image forte, un homme sans moustache, au nez vert et à la langue coupée, nous est livré un avertissement. "Les frères Moustaches existent". En Birmanie ils symbolisent la résistance populaire à l'oppression. Trois "frères" dont l'un s'étant opposé au pouvoir en place par le rire s'était vu condamner à six ans de travaux forcés en 1996. Et c'est cette lutte qui inspire Alex Cousseau qui livre un texte remarquablement illustré par Charles Dutertre, style très graphique, illustrations denses et pleines de sens, dans un album à découvrir à partir de 6-7 ans. Avec de bons mots et du bon sens, les frères Moustaches passent à l'action quand un roi devient capricieux, qu'il dirige "ses sujets comme des marionnettes", ils racontent l'histoire du général cornichon, ils font rire le peuple, imitent, pratiquent le comique, pantomiment, et tirent la langue à ceux qui leur tirent dessus, aux dictatures, à la censure, à toute forme de totalitarisme. Jusqu'à ce qu'on la leur coupe, la langue. Peu importe, ils ont encore la possibilité de s'exprimer, alors on les oppriment plus encore... Mais celle qui est la plus forte dans cette histoire, c'est la liberté d'expression. "Ils sont trois, ils sont dix, ils sont mille..." et "quand on rase une moustache, elle finit toujours pas repousser", qu'on se le dise.  Un album très fort.
Le même vu par La Mare aux mots Ici

*** Les références ***
Une arme dans la tête  de Claire Mazard - Editions Flammarion - collection Tribal - 10 septembre 2014 - 10 € - à partir de 14 ans *** Coup de cœur***
Les Frères Moustaches d'Alex Cousseau et Charles Dutertre - Editions du Rouergue - octobre 2013 - 16 €

4 commentaires:

  1. Quel bel article... Merci... Je t'avoue que je ne me suis pas non plus posé la question "faut-il en parler aux enfants ?". Passées les premières minutes d'immense choc, de sidération, je me suis simplement demandé "COMMENT en parler aux enfants ?", en l'occurrence, chez nous, 3 filles de 12, 10 et 7 ans, et un petiot de presque 2. Pour le petiot, c'était vite vu : non pas lui en parler, mais simplement lui dire "je suis triste, mais ce n'est pas ta faute..." Pour les grandes, adapter mon discours à chaque âge, leur donner quelques informations sans les heurter, leur montrer ce qui est en jeu, les "armer" pour leur permettre de débattre entre elles ensuite, et avec nous. Parce que je savais que le lendemain elles en parleraient à l'école, j'ai voulu pouvoir maîtriser les premiers mots qu'elles entendraient là-dessus. Tout comme lorsque nous étions en Syrie et qu'il a fallu leur expliquer pourquoi nous risquions de ne pas pouvoir y passer les 4 années prévues. Ou encore lorsque nous étions rentrées mais leur papa y était encore et a subi l'attaque violente de l'ambassade où il travaillait : là aussi, j'ai voulu leur expliquer moi-même, expliquer mon émotion, recueillir les leurs, les autoriser à dire leur inquiétude. Notre rôle est crucial. Et finalement il est tellement plus simple que celui que nous avons, mes collègues profs et moi, dans notre collège de ZEP où nous voyons fleurir les incidents sans pouvoir maîtriser le discours entendu par les élèves à la maison ou dans leur quartier... Le rôle de parent est bien essentiel dans un tel moment, et si je suis le parent de mes enfants, je ne suis pas celui de mes élèves... Des bises Maman Baobab, et chapeau pour tout ce que tu fais, dis, écris.

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    1. C'est mon fils de 17 ans qui m'a envoyé le lien...pas mal pour son âge...J'apprécie beaucoup ce que tu écris et aimerais recevoir les notifications de ton blog :)

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  2. Bravo pour la simplicité de tes mots, leur sincérité... J'espère vraiment pouvoir te croiser plus longuement un jour, autrement que dans les allées surchargées de Montreuil ;-)
    Continue et je suis d'accord: "On n'a pas le choix!"

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  3. Merci à vous pour vos messages sensibles !

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