mercredi 15 janvier 2014

Ados en fuite [romans]

Elles ne sont pas parties de chez elles pour les mêmes raisons, mais elles sont parties quand même de leur maison et c'est ce qui réunit les héroïnes de ces deux romans. 

Lâcher sa main de Séverine Vidal. " C'est pour cela que je suis partie, pour remettre un peu d'ordre dans ma tête". C'est pour cela que Fleur a quitté la terre ferme, c'est pour cela qu'elle fait partie de l'équipage, du bastingage, pour cela... Pourquoi ? "Maman est folle. Je crois que je le sais depuis toujours. ça ne m'a jamais fait peur ou honte ou quoi que ce soit de ce style. Elle est folle, démente, tarée, ouf, guedin, crazy, dingue, dingo, à la ramasse, psycho-quelque chose, tout ce que vous voulez". Et cette jeune Fleur, à la fleur de l'âge, garde un regard doux sur cette maman dont cette folie est la liberté, comme elle dit. Sa prison à elle, Fleur, ravagée, à l'intérieur, chamboulée par ses pensées et ses émotions, par l'injustice de la situation. Sa maman à elle renverse les poubelles dans la rue, lève sa jupe pour pisser au milieu d'un chemin sans arrêter de converser avec ses hôtes, ou se met dans le caddie quand il s'agit de faire les courses. Sa mère est malade, sans guérison possible, avec des périodes de mieux et des périodes de pire, avec des séjours à l'HP, des cachetons à avaler, "des périodes plus riantes, du calme des gâteaux qui cuisent dans le four, du normal très normal, presque ennuyeux quand on y pense". Un état qui a mis l'enfant devenue ado en insécurité affective, qui l'a fait grandir trop vite, devenir infirmière ou peut-être même mère de la sienne. Jusqu'au moment où prendre le large devient la seule issue possible. Une fuite, pas une fugue. Une échappée, au large, avec le consentement et même plus de sa maman qui dans ses éclairs de lucidité, quand elle redevient mère de son enfant n'a qu'une obsession : "me protéger, ne pas m'enfermer (...), me pousser vers l'extérieur plutôt que me garder avec elle dans sa bulle. M'entraîner dans sa chute". Et ce départ, sa mère le lui a fait promettre. Une décision difficile à prendre pour Fleur, mais une fois le pas fait, une fois le pied sur le pont du Tony, dans les bras de Tristan, au milieu de toute la bande, la libération point, comme le soulagement et l'apaisement. Émotion aussi, bien sûr. Beaucoup d'émotions. Et tout se joue là, entre le fait de laisser une maman malade sur le quai et celui de voler de son propre zèle. Et tout se joue là, dans la retenue qui s'inscrit sur le fil de la narration qui déroule de manière non linéaire les événements, qui raconte ce qu'est cette folie maternelle, qui raconte aussi le voyage sur les mers et les sentiments qui se nouent, les vérités qui se délient, comme les langues, sur le rafiot. Le fil, c'est Séverine Vidal qui le mène, défait les nœuds, tisse, lie, suggère, avec grand talent en nous livrant une histoire très forte, sur un sujet lourd et douloureux avec mesure, presque sans tristesse mais avec une infinie tendresse. *** Coup de cœur ***

Fugueuses de Sylvie Dehors. Il y a d'abord Lisa. "Le souffle court, je m'immobilise. (...). Notre course sauvage à travers les fossés et les bois nous a sauvées ! On a évité les fourgons et les barrages? On a réussi à passer le cordon de flic. Je n'arrive pas à le croire". La rebelle, la meneuse, s'il en fallait une. Une sur les deux, les deux amies en fuite, unies par elle mais pas seulement. Il y a donc aussi Jeanne. Aussi lycéenne que Lisa, un an de moins, l'esprit plus doux, comme les mains, comme les idées qu'elle porte en idéaux : écologie, nature, énergie renouvelable, et les cabanes. Vivre dans une cabane. "Je voulais voir les cabanes. En vrai, de près. Depuis que je suis môme, je rêve d'en construire une. Alors quand avec Lisa, on a visionné des documentaires tournés sur la ZAD, j'ai fabulé". La ZAD, Zone d'Aménagement Différé. Lisa et Jeanne ont fui leurs montagnes, ont traversé la France, pour se retrouver au cœur de la forêt, en terrain occupé par ceux avec qui elles partagent les idées, les opposants à la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Roman inspiré d'une histoire vraie. Vite intégrées à la communauté bien que mineures, elles y rencontrent Brit, Loïc, Roger et bien d'autres militants pacifistes. Elles rejoignent les discussions, les groupes de travaux collectifs, elles rient, réfléchissent, pensent, se projettent... Dur retour à la réalité quand elles en viennent malgré elles à lutter physiquement aussi, quand il s'agit de manifs et de confrontations avec les CRS. Dur retour à la réalité aussi, quand leurs familles débarquent pour venir les chercher... Toujours d'actualité, ce roman d'initiation a produit de drôles de sensations avec quelques résonances, fugue exceptée, à quelques bribes de ma vie estudiantine. A l'époque (on peut dire époque, ça y est j'ai passé les 35 années), il m'était arrivé, entre autres, de quitter une région proche de Notre-Dame-des-Landes pour filer vers les montagnes, la Vallée d'Aspe, le tunnel du Somport. Un petit peu de son ? C'est Ici

*** Les références ***
Lâcher sa main de Séverine Vidal, Editions Grasset Jeunesse, collection Lampe de Poche, janvier 2011 - 7,50 € - à partir de 13 ans
* Fugueuses de Sylvie DehorsEditions du Rouergue, collection Doado, octobre 2013 - 9,20 € - à partir de 14 ans

3 commentaires:

  1. Ahhhh ce livre ! Lâcher sa main : un grand moment de lecture !

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    1. Absolument ! C'est beau, c'est bien écrit, c'est très fort... Bravo Séverine !

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  2. rhooo, Anne, Sandra : merci, vous êtes ... vous êtes ... adorables. Touchée, tiens.

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