vendredi 18 octobre 2013

Et toute la ville s'éveille...


Et toute la ville s'éveille. C'est d'abord le nom de l'album avec lequel je rencontre les éditions Balivernes. C'est surtout  un album co-signé par Laurie Cohen au texte, et l'étoile montante, Marjorie Béal aux illustrations. Et toute la ville s'éveille  c'est un album avant tout très graphique, des fonds noirs, des fonds blancs et des jets de couleurs, de lumière, des phares, des feux, des réverbères, des yeux. Et toute la ville s'éveille, c'est une couverture extraordinaire. A regarder, à toucher, elle est extra ordinaire, en deux mots, non seulement elle belle et attirante mais elle est également servie par une grande qualité d'édition. Et toute la ville s'éveille, des formes géométriques, des rectangles, des carrés, des triangles, des ronds. Des traits, continus, discontinus, interrompus, des chemins, des routes, des lignes, quelques courbes, mais peu. Ah si, il y en a quand il s'agit d'illustrer la fumée, en bouffée, les cheminées, et les nuages, aussi parfois. Et toute la ville s'éveille, respire, vit, au fil de la journée, au fil des saisons. S'étonne au printemps quand frissonne en automne. La ville vit. "La ville écoute, entend, soupire et dans un souffle, expire des histoires et des bruits, des klaxons et des cris", la ville est poésie sous les mots de Laurie. Rythme, cadence, danse, assonances. Et toute la ville s'éveille,  et un album qui sort de l'ordinaire, un album chiadé, coloré, de grande qualité. C'est un *** coup de cœur***, vraiment. 

Et toute la ville s'éveille c'est aussi un titre qui m'a donné envie de vous parler de ce temps hors champ qui fait tampon entre le moment où je quitte un des romans que je m'apprête à chroniquer, lecture de train, de quelques stations de métro, quand chaque temps de transport en commun permet d'avaler quelques pages, quelques lignes, d'avancer dans la lecture jusqu'au bout de la ligne, jusqu'à la 5e ou 6e station, et celui du début de la journée de travail. Ce temps qui court, entre le point à la ligne et le pointage. Un temps incertain, un peu flou, un temps trop court, je cours, enfin mes jambes marchent vite et savent où elles vont. Ma tête marche vite, aussi, mais pas dans la même direction. Elle continue l'histoire, vole de pensées en pensées, prend note, écrit. Le tiraillement terrible entre l'obligation de pointer et cette furieuse envie d'écrire. Parfois d'en pleurer. 

De faire demi-tour. Depuis l'été dernier, j'ai changé de lieu de travail. Le parcours est presque le même, un tout petit peu plus long, un tout petit peu plus de marche, suffisamment pour que j'aie plus de temps pour apprécier la transition, pour que mon esprit reprenne corps, pour que mes connexions, se fassent synchros. Ou à peu près. Il y a parfois l'urgence d'établir sur carnet, un morceau de phrase, trois mots pour ne pas que ces pensées, ce texte qui n'est écrit que dans la tête, s'envole à jamais. Et toute la ville s'éveille,   du quai au lieu de travail, de la place de la gare à la dalle, j'ai le temps de la voir s'éveiller. Elle n'est jamais la même. Jamais tout à fait. Horaires variables, circulation variable, temps variable ou temps de saison ce n'est jamais tout à fait le même parcours. Je n'ai pris qu'une fois mon appareil photo. Un matin de pluie, un matin gris, un peu avant huit heure. C'était déjà l'automne. Et ce n'était ni la même image qu'hier, la lumière, ni la même que celle du lendemain, d'avant-hier ou de ce matin. Cet été, très tôt, j'ai vu les séances d'ablution des gens sans toit, dans la fontaine. Les terrasses vides s'installent, je ne suis pas la seule à marcher vite. S'il est très tôt, je vois les lumières qui s'allument dans les appartements. Les volets qui se lèvent. Il y a toujours quelqu'un qui promène son chien, des enfants, petits, qui courent, qui courent accrochés à la rapidité du rythme que prend leur parent, pressé. Je le suis aussi. Je vois ces scènes, je reconnais des gens, au fil du temps. Des vélos. J'entends des rires, au loin. Des rieuses.  Ou argentés. Elles sont mouettes, ils sont goélands. Oiseaux des villes. J'entends la cloche sonner. J'entends les bus, les voitures. Je vois la lumière qui prend place. Je vois toute la ville s'éveiller. Vendeurs de pâtes, vendeurs de pain, de mocassins, les magasins prennent la lumière. Pour l'instant c'est vide, tôt le matin. Et ensuite la dalle, avec la fréquentation du centre commercial, la vie de sandwich, le lèche-vitrine, fera le plein. Un tout autre univers. Pour l'instant, j'entends des rires, j'entends les cloches sonner. J'entends marcher, j'entends mon souffle, mes pieds filer. J'entends Madame. J'entends, perdue dans mes pensées. J'entends Madame. J'étais perdue dans mes pensées. Elles suivaient le fil de ma narration, je ne faisais pas attention. J'entends Madame ou j'entends mon prénom. C'est à ce moment là que vous m'avez croisée, Sandrine, Nathalie, Valérie, prise en flagrant délit de fuite dans mon imagination. Plus ou moins à l'endroit du rendez-vous des chats. 
Quelques chats de gouttière errent. Il m'a fallu quelques observations matinales, il m'a fallu ralentir un tout petit peu le pas pour observer, pour écouter un peu. Ce matin précisément, "La minette" manquait à l'appel. "Vous me redirez demain, si d'ici là vous l'avez revue". Ils se vouvoient, donc. Tous les matins c'est le même rituel. Rendez-vous aux chats. Il m'a fallu un peu de temps pour savoir qui avait le vélo, qui apportait la nourriture, qui arrivait en premier. Plusieurs matins, depuis juillet, pour assembler le puzzle. Lui, il a une cinquantaine bien cognée. Un cigare, un imper, la cuillère, les petits récipients - qui restent là d'ailleurs bien souvent - et le sac en plastique. Elle, elle est apprêtée, semble se rendre au travail, a les pétales un peu flétris, autour des yeux, mais n'en perd pas la pédale. Elle a un vélo noir, et arrive le plus souvent après lui. Parfois elle n'arrive pas. Eux, les chats, quand il est trop tôt, quand j'arrive avant l'imper et avant le vélo, ils sont là, ils attendent leur pitance. Si quelqu'un s'arrête, ils miaulent, ils ont faim, ils ont rendez-vous avec ce couple qui n'en est pas un. Ils se vouvoient. Parlent-ils de la pluie et du beau temps, parlent-ils chats quand ils se donnent rendez-vous à chat ? Je ne sais pas. Mais ils sont tout le temps là. Eux. Et les chats aussi.
Est-ce que plus tard dans la journée, les chats se carapatent ? Je ne sais pas, c'est difficile de le savoir, il y a tellement de monde devant le buisson. Il y a un tout autre monde. Et ce matin, "La Minette" a disparu. Et pendant ce temps, toute la ville s'éveille, le temps file, et je dois continuer mon chemin, aller badger, entrer dans un tout autre univers. Je passe devant les dizaines de vélos, devant les pâtes. La terrasse est installée parfois, parfois il est trop tôt. Parfois le serveur s'active, parfois il est au repos. Le ciel est changeant, les lignes et les courbes des immeubles, des bâtiments non. Parfois je lis, tag, graffiti, autocollants. Parfois, non. 

Et puis, le vide. L'air, une place carrée, de hautes tours, le sas d'entrée, ou presque. Je croise rarement quelqu'un à cette heure. La promenade d'un maître par son chien quelque fois. Et si je lève le nez, si je n'ai pas le tournis, je regarde la vie dans les appartements, les jeux des lumières qui s'éteignent et s'allument au rythme de la mise en jambe et des préparatifs du petit matin. Mais déjà, je suis passée de l'autre côté, mes pensées se sont rangées deux par deux, à peu près, en ordre. Dans quelques minutes, dans quelques pas, je passerai mon badge dans la machine. Je ferai mine de rien. J'oublierai que je ne fais pas le métier pour lequel je suis programmée. J'oublierai que j'ai mal. Souvent, de ne pas pouvoir écrire. Quand le soir je ferai la route dans l'autre sens, ni l'air, ni l'esprit, n'auront à voir avec ce qu'il se passe, ce qu'il se vit au même endroit tôt, au petit matin. Je ne sortirai pas mon appareil photo non plus. Car il n'y a plus à cette heure de discrétion. Et je retournerai, en train ou en métro, dans les pages de mon bouquin, dans les lignes de mon carnet, puis dans mon univers, à la campagne.
A la campagne. Des mêmes auteures, Laurie Cohen et Marjorie Béal, aux éditions Balivernes, même collection, même qualité d'édition. Je viens de le recevoir, je m'en souviendrais, je l'ai reçu le jour où "La minette" a disparu. Peut-on commencer un album par la fin ? J'ai bien envie de le faire. Car le rappel qui y est fait au premier opus, fait de cette dernière double page, ma préférée de cet album je crois. Au loin, dans un cadre nature, arbres, verdure, coquelicots, on aperçoit grues, immeubles maisons. "Et la ville est loin, si loin..." quand on est à la campagne. Technique identique, collages, empreintes, suggestions pour ce que l'on voit ;  phrasé poétique, rythme et rimes. L'album est plus ouvert, plus coloré, plus frais que le précédent, il nous attire tout autant. Mais des deux je vous l'avoue, je préfère le précédent. Pourtant j'aime bien cette idée, qu'à la campagne "on croque des groseilles" ou bien "on s'embrasse dans les buissons", j'aime bien que l'on respire, que l'on soit libre de voir voler coccinelles et papillons, que l'on soit proches de arbres, que l'on marche sur "les feuilles mortes qui craquent sous les pieds", parce que c'est bien ça la campagne et que suivre ce petit garçon et cette petite fille au fil des pages, au fil de leur promenade dans la campagne, c'est prendre le chemin du rêve, c'est écouter, regarder et entendre la nature, c'est être apaisé, couper. Cet album est une belle invitation à ce voyage là, près de chez soi, remarquablement proposé par un duo auteure / illustratrice qui a su parfaitement s'accorder. 



*** Les références ***
Et toute la ville s'éveille de Laurie Cohen et Marjorie Béal, Editions Balivernes, juin 2013 - 14 €
A la campagne de Laurie Cohen et Marjorie Béal, Editions Balivernes, 3 octobre 2013 - 14 €


Pour lire encore plus sur cet album, c'est chez Kik et sur La mare aux mots

2 commentaires:

  1. Tu t'es reconnue, tu veux dire ?

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  2. Nan nan pas du tout !

    (et sinon c'est un peu pénible le truc qui veut qu'on prouve qu'on n'est pas un robot !!! Il écrit des trucs illisibles !!!)

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