vendredi 24 mai 2013

Transgenre, transsexualité, deux romans jeunesse qui en parlent.


 L'idée de cette chronique a germé avec la lecture du roman d'Hervé Mestron, Le choix de moi, paru chez Oskar Editeur en janvier dernier. "Alors, votre bébé, c'est une petite fille ou un petit garçon ?". Je l'ai lu. Vite. Il est court, rythmé, bien construit. Je venais tout juste de le lire quand j'ai rencontré Jean-Noël Sciarini au Salon du Livre de Paris. Il me parle de ses romans,  je m'arrête sur Le Garçon bientôt oublié qui traite du transgenre parce que l'association avec Le choix de moi se fait tout de suite. Je chroniquerai les deux romans en même temps. Un plus court pour les pré-ados / ados. Un plus long, plus rude plus complexe pour les ados-adulescents. 
Et puis, j'ai un peu tardé à le lire. Il faut dire que Ma Pile A Lire n'est pas loin de monter jusqu'au plafond. Et puis enfin j'ai ouvert le roman, souri à la relecture de la dédicace, abordé l'incipit et découvert une plume. Une bonne plume. Une très bonne plume. Quel plaisir à la lecture, quelle découverte que celle de Jean-Noël.
Le sujet est sérieux, son livre est sombre - contrairement à l'histoire d'Hervé Mestron plus douce et pleine d'espoir - mais son écriture a cette fâcheuse tendance à vous emporter directement. Fâcheux, c'est quand on est dans le train ou dans le métro, arrivé à bon port, et qu'il faut y aller, là, madame, vous devez partir, on est en gare. Emportée directement. C'est ce qu'il s'est passé pour moi, alors j'en ai parlé autour de moi, sans vous en parler à vous. Je vous l'avoue. Et justement, en échangeant avec Gabriel de l'incontournable blog La Mare aux Mots, l'idée a germé de vous proposer un regard croisé sur le roman de Jean-Noël Sciarini, et finalement une chronique croisée sur la thématique de la transsexualité puisque Gabriel vous présente également  Mon frère ma princesse de Catherine Zambon ( Iciquand je vous propose la lecture de...  

Le choix de moi d'Hervé Mestron
" ça ne va plus depuis un moment. L'impression d'être à côté de ses pompes. Dominique a essayé d'en parler. Mais il est difficile de formuler, surtout à sa mère, ce que l'on n'arrive pas à se dire à soi-même". Ces premiers mots ne disent pas pourquoi Dominique ne se sent pas bien. C'est en continuant, en croisant la description de ses sentiments et du mal-être de l'adolescent, avec les descriptions faites de son instrument, il est musicien, que tout se dessine par la métaphore. "Dominique se souvenait qu'il avait parlé de l'alto comme d'une personne : "ange, androgyne, au timbre voilé, ambigu, pouvant arracher le cœur du public". Et c'est un instrument qu'il embrasse, dès le plus jeune âge, et dont il joue pour la plus grande fierté de sa mère. Alors quand un jour, son corps se bloque, se tend, refuse d'en jouer, on sait que le nœud arrive. Le nœud dans la gorge, le nœud de l'histoire. C'est l'expression physique du mal-être de l'adolescent qu'il ne comprendra que plus tard, en cheminant, en se remémorant les troubles et les événements de son enfance, en veillant sa mère gravement accidentée à l'hôpital, qui surgit. " Et cette envie qui lui prenait de s'arracher la peau, de brûler son nom. (...) et son incapacité à comprendre ce qui se passait en lui, à se demander s'il était bien normal de remettre en cause la question de qui il était : fille ou garçon". 

Elle, sa maman, est dans le coma. Lui, le garçon, Dominique, prénom à deux genres, commence à devenir elle, l'autre, son autre. Une 'elle' qui était enfouie, cachée, bloquée profondément en lui. Comme cette histoire d'hôpital, de leucémie, de traitement quand il était petit. Et si la situation se débloquait ? Une, enfin plusieurs même, notes d'optimisme, une et peut-être même plusieurs réconciliations. Entre l'enfant et sa mère, l'ado et l'alto, l'ego et l'ego... Une réconciliation avec la vie peint dans un roman mené avec finesse par Hervé Mestron qui aborde hermaphrodisme et transgenre avec simplicité et presque douceur. Les deux termes sont par ailleurs expliqués à la fin du roman Gérard Fedmann, professeur de médecine émérite. Le petit plus pédagogique chez Oskar Edition.
Le choix de moi d'Hervé Mestron, Editions Oskar, collection court métrage, janvier 2013 - 5 € - à partir de 12 ans. 

Le garçon bientôt oublié de Jean-Noël Sciarini.  "J'ai parfois pleuré comme une fille, et je me suis battu comme un garçon. Le contraire tout autant. Boy's don't cry ou girls juste wanna have fun, est-ce cela le contrat pour être toléré et apprécié , dans la cour de récré , puis accepté dans la cour des grands ? Faut-il vraiment choisir son camp ?". Extrait du journal intime de Toni Canetto, 16 ans ou presque et d'un genre plutôt incertain.  Et certain par contre de ne pas savoir qui il est, excepté peut-être "un type vraiment bizarre" en quête de lui-même. Plutôt en quête de l'amour, en quête d'une chanson qui lui permettait de se trouver lui. Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond ? La question est tournée, retournée dans tous les sens. Tony fait des classeurs, archive, se documente, un peu sur lui, beaucoup sur les autres, pour se trouver ou se retrouver. "Je suis perdu". Quand il laisse enfin entrer "quelque chose dans [sa] vie. La musique." il pense que le jour où il trouvera son titre, il comprendra son histoire personnelle, il capturera son identité. C'est Antony and the Johnsons. "For today I'm a boy (...). One day, I'll grow up, I'll be a beautiful woman" qui  fait déclic. La chanson révélatrice. Celle qui lui fera parcourir des kilomètres pour tenter d'approcher l'interprète. Comme si cette chanson pouvait changer sa vie. Et si elle le faisait vraiment. Et Rose, cette vieille rose aussi ? S'il comprenait enfin que derrière une apparence masculine, il est en réalité une fille ? Et puis il y a Laura. "Je ne connais même pas la nature des sentiments qui me portent vers Laura.  (...). J'imagine que lorsque mes lèvres seront contre les siennes, je le saurai. Ce n'est pas plus compliqué que ça". A moins que le premier baiser ne soit une gifle et ses premiers mots d'amour des insultes ? Et si les baisers et les princesses n'existaient pas ? Et s'il fallait fuir ? Fuir la maison, fuir ce corps partagé entre une fille et un garçon, fuir ce monde où personne ne le reconnaît "pauvre taré!". Et s'il n'y avait pas de solution ? A part peut-être celui de devenir oiseau ? Et si ce livre si sombre dont l'histoire expose avec talent le cheminement complexe d'un adolescent en mal de ce qu'il est, n'était pas tout à fait un livre pour adolescents ? C'est une des question que j'ai voulu poser à son auteur, Jean-Noël Sciarini en refermant ce roman et en ravalant ma salive. 
*** Coup de coeur ! ***
*** Interview *** Interview *** Interview *** Interview *** Interview ***

Une rencontre au Salon du livre de Paris en mars dernier, puis la lecture de ce roman que Jean-Noël Sciarini m'a offert, et voilà comme une envie de lui poser quelques questions...

Comment t'es venue l'idée de traiter de ce sujet ? Antony and the Johnsons dont le prénom du personnage principal est tiré ?  
Ce fut une succession de signes qui s’imposèrent à moi et me donnèrent l’impulsion de commencer ce roman (car il s’agit toujours d’une sorte d’impulsion, quelque chose comme une tension à soulager, bien plus qu’une envie – et passée cette première étape, le plaisir de l’écriture est là, bien sûr !). Parmi ces signes, il y eut, en effet, une chanson d’Antony and The Johnson (artiste que j’appréciais déjà avant, mais sans plus) qui me bouleversa, elle s’appelle Another world, et qui fut le déclencheur de l’écriture du roman.

En quoi Le Garçon Bientôt oublié est-il un roman jeunesse ? 





C’est une question difficile, à laquelle je ne suis pas certain de pouvoir répondre. Ce qui est certain, c’est que je ne me pose jamais la question de savoir si je vais ou suis en train d’écrire un roman jeunesse. On m’a déjà fait remarquer que certains de mes romans se situaient à la frontière entre littérature générale et jeunesse. L’âge des protagonistes est, c’est certain, un facteur évident installant de fait mes romans dans le paysage de la littérature jeunesse, mais au-delà de ça j’imagine que, pour ce roman en particulier (mais cela vaudrait aussi pour tous les autres), les thématiques abordées l’inscrivent dans la littérature jeunesse : la recherche d’identité, l’individuation, le sentiment d’être différent, le sentiment qu’une chanson puisse changer une vie (chose qui nous paraît sans doute, une fois devenu adulte, tout à fait stérile – et cela est bien triste je trouve). 

Comment s'inscrit-il dans ton travail ? Par rapport à toi, par rapport aux autres romans que tu as écrits ? 
Il me paraît, aujourd’hui encore, difficile à expliquer la place qu’occupe ce roman au thème aussi particulier dans mon travail. Disons simplement qu’au-delà du thème saillant du roman – le transsexualisme −, celui-ci évoque des thèmes que je n’ai cessé, depuis, d’explorer : l’inadéquation au monde, l’importance de l’art (qu’il soit majeur ou mineur, littérature ou pop music), la solitude, le regard des autres sur nos différences, etc.

Pourquoi cette omniprésence de la musique ? Ton lecteur doit-il avoir des airs dans la tête quand il te lit ? Ecris-tu dans le silence ou dans un bain de sons ? 

Déjà, la musique a toujours été omniprésente dans ma vie. La lecture, l’amour des livres, sont venus très tard (vers 18, 19 ans) mais la musique, aussi loin qu’il m’en souvienne, a toujours été là, jouant de multiples rôles : catalyseur ou révélateur d’émotions ; médium de partage, de rencontre avec les autres, elle eut un rôle consolateur et fut un marqueur des événements, heureux ou malheureux, jalonnant ma vie. C’est sans doute pour cela qu’elle est encore aujourd’hui si présente, non seulement dans ma vie mais aussi dans mes livres. Quand j’ai commencé à écrire, je ne pouvais le faire sans écouter de musique. Elle était un moyen magique d’accéder à mon imaginaire et à mes émotions, et donc à l’écriture. Aujourd’hui, il m’arrive de m’en passer, puisque je commence à maîtriser un peu mieux les clés de mon imaginaire et de mon inspiration, disons que je peux y accéder plus facilement ! Malgré tout, elle reste importante dans mon écriture. Toutes les références musicales contenues dans mes livres sont, idéalement, destinées à être découvertes par mes jeunes lecteurs, tout simplement parce que lorsque j’étais adolescent, les artistes que j’admirais étaient bien souvent d’excellents prescripteurs (soit directement à travers leur travail, soit dans leurs interviews), j’avais envie de découvrir les chansons ou les livres dont ils parlaient si bien, je voulais comprendre comment cela avait pu influencer leur travail, et façonner ce qu’ils étaient devenus. En tant qu’artistes et en tant qu’être humain. Bref, j’aime cette idée d’être un passeur, l’idée qu’un lecteur qui n’aimerait pas mes livres puisse découvrir les chansons d’Antony and the Johnsons ou de Nick Drake, les poèmes de Fernando Pessoa ou les livres de Georges Perec (je fais ici référence à mes autres romans), m’enchante et me console ! Mais attention, je ne suis pas un saint désintéressé, à tout prendre, je préférerais tout de même qu’il aime beaucoup mes livres !

Quand on a lu Le garçon bientôt oublié de Jean-Noël Sciarini, on enchaîne avec lequel de ses romans ?
Je conseillerais Les disparitions d’Annaëlle Faier qui pourrait être le pendant ludique, extraverti et aérien (et c’est aussi mon roman le plus spécifiquement adolescent par ailleurs) du Garçon bientôt oublié, un roman assez sombre. Ou alors ce pourrait être Tarja, qui est mon roman – déjà publié - favori. Il est paru chez La Joie de Lire, et est plutôt destiné aux jeunes adultes (15-25 ans). Quant à mon roman encore non publié favori, il s’agit d’un Médium qui paraîtra chez L’Ecole des loisirs fin 2013 ou début 2014 je pense, dont le titre n’est pas encore déterminé. Il s’agit je crois, à ce jour, de mon roman le plus abouti, et j’ai hâte de le voir paraître ! Sinon pour les lecteurs ados très romantiques, je conseillerais mon premier roman Nous étions des passe-muraille, une histoire d’amour entre une jeune adolescente anorexique, qui est internée dans un institut psychiatrique, et Jean, une sorte de géant un peu pataud, qui va tout faire pour l’aider à s’évader et pour la sauver de sa maladie. Pardon, j’ai un peu triché …puisque j’ai finalement cité tous mes romans ! 

Le garçon bientôt oublié de Jean-Noël Sciarini, Editions l'école des loisirs, collection medium, mars 2010 - 10 €

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