samedi 6 avril 2013

6 avril, deux ans, comme si Nos étoiles contraires.

Deux ans. Quand je l'ai écrit sur mon cahier, celui qui traîne du côté de ma table de nuit, celui qui éponge les insomnies, celui qui boit l'encre des nuits hachées, tourmentées, rompues, comme le fil de sa vie, ma gorge s'est serrée. Les larmes ont coulé. Souvent ma gorge se serre, je serre les dents, je regarde noir et dur, je suis coupante. Ou je regarde flou, vague, très flou, très vague. Je regarde devant et je ne laisse rien passer. Sur mon visage. Pas d'avis de tempête. Au mieux, masque du sourire. Comme s'il y avait de l'air entre mes deux hémisphères. Ce serait tellement plus simple parfois que de gamberger à en avoir mal au crâne, mal au bide, à croire que cette gorge va exploser. Souvent ma gorge se serre et je ne pleure pas. Elle se serre très fort et je serre les dents aussi fort. Cette fois ma gorge s'est serrée mais j'ai pleuré. Pas des sanglots, pas de spasmes. Des larmes tout simplement. Celles qui coulent doucement sans discontinuer, celles qui dénouent la gorge. Parfois je ne pleure que d'un oeil. Comme si l'autre voulait se retenir. Comme s'il savait que souvent, je suis dans la retenue, il se retient. Par loyauté, certainement. Un oeil loyal, je pense que c'est un oeil à garder, même s'il n'est pas directeur. Il permet de voir, de regarder. De se voir, de se regarder.
Deux ans. Cela ne tombe pas du ciel, on sait quand on avale le temps dans un quotidien trop précipité que la date va arriver. Cela fait deux ans que mon mari, le père de mes enfants, est décédé. Alors, et notamment pour le blog, je l'avais anticipé. Enfin, je croyais. J'avais choisi de lire Nos étoiles contraires de John Green pour vous en faire la chronique en date du 6 avril. Ni vue, ni connue. Je vous parle d'amour, de cancer incurable, de mort et tout ça dans un livre jeunesse, emballé c'est pesé. Non. Ce n'était pas pesé, c'était pesant. Comme lecture. Au démarrage surtout. Et puis de temps en temps aussi. Parce que de temps en temps, c'était quand même pas mal. Peut-être pas toujours bien écrit (ou traduit?) mais drôle, saisissant. Le sujet est lourd. Osé, pourrait-on dire. Et c'est d'ailleurs selon moi la raison principale qui lui fait rencontrer ce succès : parler de cancer, de cancer d'ados, de mort prématurée, injuste, dégueulasse. Parler de cette maladie et de la façon terrible dont elle grignote, mange, avale, engloutit la vie. Quand la vie est adolescente, beaucoup trop jeune pour être prise,  l'histoire saisit.

Hazel Grace, 16 ans est atteinte d'un cancer incurable. Elle rencontre Augustus, 17 ans, en rémission, dans un groupe de parole pour ados cancéreux, sauce américaine. Ils ont ce point commun, le cancer, la confrontation presque quotidienne à la mort. Leur vie qui ne tient qu'à un fil. Mais ils en ont d'autres, le regard qu'ils portent sur la vie, sur eux, sur la maladie. Le recul qu'il leur est nécessaire d'avoir pour ne pas sombrer dans la dépression, étape antépénultième avant le sommeil comateux et la mort. "Quoi qu'on lise sur le cancer (...) on trouvera toujours la dépression parmi les effets secondaires. Pourtant, la dépression n'est pas un effet secondaire du cancer. C'est mourir qui provoque la dépression". Elle narre. Tout du long. Ils ont en commun l'envie de vivre donc, d'aimer et d'être aimé, de désirer. L'envie de continuer aussi à être des adolescents. Malgré tout. Tout, c'est la mort qui approche. L'humour, le sarcasme, la pudeur tout autant. La fragilité, les traitements comme des moulins de Cervantès qui en veulent à l'inéluctable. La haine de la mièvrerie dont fait parfois preuve le personnel soignant qui s'adresse à ces ados en berne, grignotés par les métastases, comme s'ils étaient des enfants qui ont la varicelle. Hazel et Augustus ont aussi le goût de la littérature et c'est à cela qu'ils se raccrocheront tous les deux. A moins qu'elle ne soit directement le point d'ancrage de leur histoire d'amour. La littérature comme quête de l'absolue, de l'universel, comme la seule chose qui reste après la mort et malgré le temps qui passe, comme une quête cette fois, de l'éternité.

Je suis interpellée par le buzz que ce roman de John Green a fait dans la blogosphère, dans la presse aussi. Même Causette s'est jetée dessus. Je suis étonnée parce que je n'y trouve pas les qualités intrinsèques que j'aimerais trouver dans un roman, dans un roman jeunesse. Il est pas mal, vraiment Mais il est trop love story, c'est ce qui cloche. Nos étoiles contraires est une histoire d'amour très teenager. Dans la même veine qu'Inventaire après rupture de Daniel Handler toujours chez Nathan. J'avais bien aimé l'effet de cette lecture parce qu'elle m'avait fait basculer dans les années collèges, avec ce petit air rétro qui ne fait pas de mal : "je lis des romans d'amour parce que je n'en vis pas, je lis Patrick Cauvin parce que c'est de mon âge. Je suis en 6e ou en 5e et j'alterne avec mes lectures sur la déportation. Et au fait mon père vient de mourir et je collectionne les stylos plumes et les cartouches de toutes les couleurs". Certains passages de Nos étoiles contraires sont drôles vraiment, touchants aussi. Certaines situations provoquent une résonance douloureuse à ces semaines et ces mois qui piétinent et assassinent les malades en soins palliatifs. " Son cancer du cerveau devait faire partie de ceux qui raient votre personnalité avant de vous rayer de la liste des vivants". Mais c'est surtout comme cela que ce roman doit être lu, comme étant un roman à l'eau de rose. L'eau qui envahit des poumons trop jeunes pour l'être, certes. Mais rose comme une histoire d'amour pour préadolescents. Pas de la grande littérature. L'auteur y fait référence. Quelques allusions à Shakespeare notamment. Une allégorie de Roméo et Juliette peut-être même. Roméo et Juliette dont le choeur qui plante le décor dans le prologue a inspiré le titre, Nos étoiles contraires. Mais il faut bien l'admettre, ces allusions ne donnent qu'une envie, celle de retourner lire Shakespeare dans le texte - Roméo et Juliette - que l'on doit forcément lire à l'adolescence. C'est essentiel. 

Nos Etoiles Contraires de John Green - traduction C. Gibert - Editions Nathan - Collection Grand Format - Février 2013 - 16,50 €



Du côté de la blogosphère, retrouvez les avis de Hérisson, de Dorot, de Bouma, de Pépita

8 commentaires:

  1. Ton article est tout simplement sublime ... je ne savais pas pour ton mari et je suis désolé, mais je crois qu'avec ce texte magnifique tu lui rends un superbe hommage ♥ Je m'incline

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  2. Un texte très émouvant, qui nous cueille.

    Amitiés
    Séverine

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  3. Pfiou... J'en suis toute retournée...

    Je ne sais pas trop quoi te souhaiter, et en même temps, j'ai envie de te féliciter pour avoir su traverser tout ça avec tes enfants... Alors peut-être juste "bon courage" et puis "bravo" aussi et puis enfin, comme Séverine, "amitiés".

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  4. Il est magnifique ton texte Drawoua. C'est touchant, triste mais beau. Gros bisous à toi et ta petite famille.

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  5. Drawoua, ton texte est sublime ! Et comme il résonne en moi ! J'ai du déjà te le dire mais mon fils de 35 jours est décédé d'une leucémie. Ca me fait tellement de bien chaque fois que je constate qu'on peut parler de la maladie et de la mort des personnes jeunes sans tabou. Je comprends et je partage ton émotion. Même si je sais que perdre son mari est très différent de perdre un enfant. C'est pas la même chose, et pourtant on perd un être très cher.
    Amitiés

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  6. Beau texte. Je suis désolé que tu n'aies pas tant aimé mais surtout désolé pour toi, pour ton mari...
    Ton texte est touchant à souhait et tu rend de l'émotion dans chaque mot.
    Bon courage et bises
    Tom

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  7. Je crois que je n'avais pas pu répondre à tous vos mails précieux quand j'ai écrit ce texte, mais aujourd'hui je crois que je peux. Merci.

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  8. Je suis revenue lire ton article parce que j'ai vu le film hier avec ma grande. Elle est sortie en larmes, je m'y attendais. Moi je n'ai pas pleuré mais je ne faisais pas la maligne. Merci pour ton article. Des bises.

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